RAMBO, L’ÉCHO SILENCIEUX DES RUES DU CAIRE
L'EPOPEA DELL''ERASMUS, UN CORSARO DI CARAVAGGIO !
Chronique de KRISTIAN FRÉDRIC
5 septembre 2024
Photos Mostra di Venezia et piaggia Alberoni
Le soleil darde ses rayons dorés sur la lagune, les gondoles s’étirent paresseusement comme des chats au bord de l’eau, et moi, je reprends ma grande épopée vénitienne avec, bien sûr, mon fidèle mais désormais inquiétant compagnon de voyage : Roudoudou. Oui, vous l’aurez deviné, mon perroquet, qui, après avoir fait carrière dans le Chabadabada endiablé, a décidé de se reconvertir dans un style nettement plus... disons, occulte. Le voilà qui, à la manière de l’enfant possédé dans L’Exorciste, récite des incantations dans un langage d’outre-tombe, avec une voix gutturale que je ne lui connaissais pas. C’est à se demander s’il ne s’est pas mis à dialoguer avec Max von Sydow en cachette. Mais trêve de frissons, il est temps de laisser cette scène de sorcellerie vénitienne derrière nous et de revenir à ce qui nous intéresse vraiment : la Mostra, ce festival où l’art cinématographique se mêle à une mer de robes Dior et de selfies en gondoles.
Ah, la Mostra... la grande sœur méditative de Cannes, plus discrète, mais tout aussi glamour. Une rivale tout en élégance lagunaire. Et là, je me suis pris à rêver, à divaguer même : et si on fusionnait la Mostra et Cannes ? Un festival franco-italien où les étoiles se confondraient aux reflets de la mer, où les palmes d’or se donneraient des airs de lion ailé. Imaginez : une croisette avec des vaporetti en guise de tapis rouge, des acteurs nageant entre deux yachts comme des sirènes des temps modernes, et le tout sous l’œil vigilant d’un jury flottant, perché sur des radeaux de luxe. Oui, je sais, ça frise le génie. Ou la folie douce. Mais n’est-ce pas la quintessence du cinéma ?
Revenons toutefois à notre pitch du jour. Car ce qui m’a le plus marqué lors de cette nouvelle soirée, c’est un film... inattendu, à mi-chemin entre le drame social et la fable canine. Le héros ? Hassan, un trentenaire cairote, expulsé sans ménagement avec sa mère et leur chien, Rambo. Un nom qui annonce déjà la couleur. Leur tort ? Vivre dans un appartement que Karem, un mécanicien aux ambitions immobilières démesurées, souhaite transformer en atelier. Et là, tout se déchaîne : la mère de Hassan, loin de se laisser faire, attaque Karem en justice. Ce dernier, avec la délicatesse d’un éléphant dans un magasin de porcelaine, réagit violemment. Mais, coup de théâtre : Rambo, le chien de la famille, fait une entrée héroïque et mord Karem là où ça fait vraiment mal. Une scène d’anthologie que je ne risque pas d’oublier. Vous voyez le genre : l’homme d’honneur déchu, humilié en plein jour par un canidé vengeur. De quoi réévaluer sérieusement son rapport à la dignité.
Mais bien sûr, Karem, vexé jusqu’à l’os, ne compte pas en rester là. S’ensuit un harcèlement constant, qui pousse Hassan à errer dans les rues du Caire, traînant son chien Rambo avec lui dans une quête désespérée pour lui trouver un abri. Mais plus qu’une simple recherche de refuge, c’est un voyage intérieur. Hassan, au fil de ses déambulations, se confronte à ses peurs, à sa solitude, et, comme tout bon héros de film d’auteur, il finit par se redécouvrir lui-même à travers les yeux innocents de son chien.
Le réalisateur, quant à lui, voit en cette histoire bien plus qu’une simple lutte pour la survie canine. Il nous confie avoir longtemps porté en lui l’image floue d’un jeune homme étreignant son chien sur un trottoir sombre et glacé, comme un symbole de sa propre solitude. Voilà, c’est dit. Mais À la recherche d’une issue pour M. Rambo n’est pas un plaidoyer contre la violence faite aux chiens, non, c’est bien plus profond que ça. C’est une métaphore de la relation conflictuelle de toute une génération avec la société. Un paradoxe entre un amour passionnel et une peur viscérale. Vous voyez le tableau : une génération qui se sent pourchassée, errante, comme des chiens sans collier, mais incapables de trouver un endroit où poser ses valises. Une génération en quête d’un lieu où elle pourrait enfin, peut-être, se sentir chez elle.
Et moi, face à cette fable mi héroïque, mi désespérés, j’ai été touché. Touché, parce que cette histoire m’a rappelé Alice dans les villes de Wim Wenders. Oui, vous savez, ce film où l’on suit un homme perdu dans un monde qui ne lui appartient pas, accompagné d’une petite fille, à la recherche d’un lieu, d’une idée, d’un sens. Ici, c’est Hassan et Rambo qui traversent une ville hostile, à la recherche d’un coin de paix. Dans Alice dans les villes, Wenders nous parle de la quête d’identité, de cette errance infinie, ce besoin de se trouver dans un monde où tout nous échappe. C’est pareil ici, mais avec un chien. Et franchement, qu’y a-t-il de plus émouvant qu’un chien fidèle dans un monde en crise ?
La chute ? Oh, elle est simple. Après cette journée vénitienne, entre perroquet démoniaque et chien sauveur, j’ai longuement contemplé Roudoudou, en me disant que, finalement, il y a pire compagnon de route qu’un exorciste à plumes. Au moins, lui ne mord pas…enfin pour l’instant.
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