[LE SÉDUCTEUR ET L'INGÉNUE]
Don Juan médecin ?
La médecine, pour Molière, consiste à embobiner les gens simples en cachant son ignorance sous des paroles latines et un vêtement reconnaissable entre tous. On voudrait tellement croire que la mort nous oubliera !
Dom Juan, en habit de campagne, Sganarelle, en médecin.
Sganarelle : Ma foi, Monsieur, avouez que j’ai eu raison, et que nous voilà l’un et l’autre déguisés à merveille. Votre premier dessein n’était point du tout à propos, et ceci nous cache bien mieux que tout ce que vous vouliez faire.
Dom Juan : Il est vrai que te voilà bien, et je ne sais où tu as été déterrer cet attirail ridicule.
Sganarelle : Oui ? C’est l’habit d’un vieux médecin, qui a été laissé en gage au lieu où je l’ai pris, et il m’en a coûté de l’argent pour l’avoir. Mais savez-vous, Monsieur, que cet habit me met déjà en considération, que je suis salué des gens que je rencontre, et que l’on me vient consulter ainsi qu’un habile homme ?
Dom Juan : Comment donc ?
Sganarelle : Cinq ou six paysans et paysannes, en me voyant passer, me sont venus demander mon avis sur différentes maladies.
Dom Juan : Tu leur as répondu que tu n’y entendais rien ?
Sganarelle : Moi ? Point du tout. J’ai voulu soutenir l’honneur de mon habit : j’ai raisonné sur le mal, et leur ai fait des ordonnances à chacun.
Dom Juan : Et quels remèdes encore leur as-tu ordonnés ?
Sganarelle : Ma foi ! Monsieur, j’en ai pris par où j’en ai pu attraper ; j’ai fait mes ordonnances à l’aventure, et ce serait une chose plaisante si les malades guérissaient, et qu’on m’en vînt remercier.
Dom Juan : Et pourquoi non ? Par quelle raison n’aurais-tu pas les mêmes privilèges qu’ont tous les autres médecins ? Ils n’ont pas plus de part que toi aux guérisons des malades, et tout leur art est pure grimace. Ils ne font rien que recevoir la gloire des heureux succès, et tu peux profiter comme eux du bonheur du malade, et voir attribuer à tes remèdes tout ce qui peut venir des faveurs du hasard et des forces de la nature.
Sganarelle : Comment, Monsieur, vous êtes aussi impie en médecine ?
Dom Juan : C’est une des grandes erreurs qui soient parmi les hommes.
Sganarelle : Quoi ? vous ne croyez pas au séné, ni à la casse, ni au vin émétique ?
Dom Juan : Et pourquoi veux-tu que j’y croie ?
Sganarelle : Vous avez l’âme bien mécréante. Cependant vous voyez, depuis un temps, que le vin émétique fait bruire ses fuseaux. Ses miracles ont converti les plus incrédules esprits, et il n’y a pas trois semaines que j’en ai vu, moi qui vous parle, un effet merveilleux.
Dom Juan : Et quel ?
Sganarelle : Il y avait un homme qui, depuis six jours, était à l’agonie ; on ne savait plus que lui ordonner, et tous les remèdes ne faisaient rien ; on s’avisa à la fin de lui donner de l’émétique.
Dom Juan : Il réchappa, n’est-ce pas ?
Sganarelle : Non, il mourut.
Dom Juan : L’effet est admirable.
Sganarelle : Comment ? il y avait six jours entiers qu’il ne pouvait mourir, et cela le fit mourir tout d’un coup. Voulez-vous rien de plus efficace ?
Dom Juan : Tu as raison.
Femme, écoute ton seigneur et maître !
C’est Arnolphe qui parle ainsi à sa fiancée Agnès. Mais la pièce de Molière s’appelle L’École des femmes : et les maris tyranniques ne sont pas bien vus dans cette école-là…
Je vous épouse, Agnès; et, cent fois la journée,
Vous devez bénir l'heur de votre destinée,
Contempler la bassesse où vous avez été,
Et dans le même temps admirer ma bonté,
Qui, de ce vil état de pauvre villageoise,
Vous fait monter au rang d'honorable bourgeoise,
Et jouir de la couche et des embrassements
D'un homme qui fuyait tous ces engagements,
Et dont à vingt partis, fort capables de plaire,
Le coeur a refusé l'honneur qu'il veut vous faire.
Vous devez toujours, dis-je, avoir devant les yeux
Le peu que vous étiez sans ce nœud glorieux,
Afin que cet objet d'autant mieux vous instruise,
A mériter l'état où je vous aurai mise,
A toujours vous connaître, et faire qu'à jamais
Je puisse me louer de l'acte que je fais.
Le mariage, Agnès, n'est pas un badinage:
A d'austères devoirs le rang de femme engage;
Et vous n'y montez pas, à ce que je prétends,
Pour être libertine et prendre du bon temps.
Votre sexe n'est là que pour la dépendance:
Du côté de la barbe est la toute-puissance.
Bien qu'on soit deux moitiés de la société,
Ces deux moitiés pourtant n'ont point d'égalité;
L'une est moitié suprême, et l'autre subalterne;
L'une en tout est soumise à l'autre, qui gouverne;
Et ce que le soldat, dans son devoir instruit,
Montre d'obéissance au chef qui le conduit,
Le valet à son maître, un enfant à son père,
A son supérieur le moindre petit frère,
N'approche point encor de la docilité,
Et de l'obéissance, et de l'humilité,
Et du profond respect où la femme doit être
Pour son mari, son chef, son seigneur et son maître.
Lorsqu'il jette sur elle un regard sérieux,
Son devoir aussitôt est de baisser les yeux,
Et de n'oser jamais le regarder en face
Que quand d'un doux regard il lui veut faire grâce.