[LE BON, LE BABILLARD ET LE TRUAND]
Candide, de Voltaire :
un conte de fée ?
Il était une fois un beau château qui abritait le plus grand philosophe de toute la terre (enfin, d’après lui)
Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolo-nigologie. Il prouvait admirablement qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux, et madame la meilleure des baronnes possibles.
« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes ; aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées et pour en faire des châteaux ; aussi monseigneur a un très-beau château : le plus grand baron de la province doit être le mieux logé ; et les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l’année. Par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise : il fallait dire que tout est au mieux. »
Candide écoutait attentivement, et croyait innocemment : car il trouvait Mlle Cunégonde extrêmement belle, quoiqu’il ne prît jamais la hardiesse de le lui dire. Il concluait qu’après le bonheur d’être né baron de Thunder-ten-tronckh, le second degré de bonheur était d’être Mlle Cunégonde ; le troisième, de la voir tous les jours ; et le quatrième, d’entendre maître Pangloss, le plus grand philosophe de la province, et par conséquent de toute la terre.
Mais le bonheur est éphémère, c’est bien connu :
[…] en se promenant, il rencontra un gueux tout couvert de pustules, les yeux morts, le bout du nez rongé, la bouche de travers, les dents noires, et parlant de la gorge, tourmenté d’une toux violente, et crachant une dent à chaque effort.
Candide, plus ému encore de compassion que d’horreur, donna à cet épouvantable gueux les deux florins qu’il avait reçus de son honnête anabaptiste Jacques. Le fantôme le regarda fixement, versa des larmes, et sauta à son cou. Candide, effrayé, recule. « Hélas ! dit le misérable à l’autre misérable, ne reconnaissez-vous plus votre cher Pangloss ? — Qu’entends-je ? Vous, mon cher maître ! vous, dans cet état horrible ! Quel malheur vous est-il donc arrivé ? Pourquoi n’êtes-vous plus dans le plus beau des châteaux ? Qu’est devenue MlleCunégonde, la perle des filles, le chef-d’œuvre de la nature ? […] — Elle est morte, reprit l’autre. » Candide s’évanouit à ce mot : son ami rappela ses sens avec un peu de mauvais vinaigre qui se trouva par hasard dans l’étable. Candide rouvre les yeux. « Cunégonde est morte ! Ah ! meilleur des mondes, où êtes-vous ? Mais de quelle maladie est-elle morte ? Ne serait-ce point de m’avoir vu chasser du beau château de monsieur son père à grands coups de pied ? — Non, dit Pangloss, elle a été éventrée par des soldats bulgares, après avoir été violée autant qu’on peut l’être ; ils ont cassé la tête à monsieur le baron, qui voulait la défendre ; madame la baronne a été coupée en morceaux ; mon pauvre pupille, traité précisément comme sa sœur ; et quant au château, il n’est pas resté pierre sur pierre, pas une grange, pas un mouton, pas un canard, pas un arbre. »
L’état piteux de Pangloss ne s’explique évidemment pas par l’attaque des Bulgares mais par un autre malheur : la syphilis, rapportée en Europe grâce à Christophe Colomb, a été transmise à Pangloss par Pâquette, la jolie femme de chambre de madame la baronne.
Mais que fait la police ?
Jean Valjean,
le héros le plus populaire des Misérables de Victor Hugo.
Jean Valjean est né dans une famille de pauvres paysans de la Brie en 1769. Il a perdu ses parents quand il était jeune et c'est sa sœur Jeanne qui l'a élevé. Après la mort de son beau-frère, c’est lui qui doit assurer la subsistance de Jeanne et de ses sept enfants.
En 1795, un hiver très froid entraîne la famille Valjean dans la disette : « Un dimanche soir, Maubert Isabeau, boulanger sur la place de l'église, à Faverolles, se disposait à se coucher, lorsqu'il entendit un coup violent dans la devanture grillée et vitrée de sa boutique. Il arriva à temps pour voir un bras passer à travers un trou fait d'un coup de poing dans la grille et dans la vitre. Le bras saisit un pain et l'emporta. Isabeau sortit en hâte ; le voleur s'enfuyait à toutes jambes : Isabeau courut après lui et l'arrêta. Le voleur avait jeté le pain, mais il avait encore le bras ensanglanté. C'était Jean Valjean. »
Il a 26 ans et va être condamné à cinq ans de bagne pour avoir tenté de voler ce pain. Il tente plusieurs fois de s’évader : chaque tentative allonge sa peine et il ne sera remis en liberté qu’à l’âge de 46 ans, en 1815 .
Valjean ne trouve aucune auberge qui accepte d’accueillir un ancien forçat. Seul un évêque lui offre le gîte et le couvert. Valjean s’enfuit au milieu de la nuit après avoir volé son hôte. Arrêté par les gendarmes, il est ramené chez l'évêque. Celui-ci, pour le sauver, assure aux gendarmes qu'il ne s’agit pas d’un vol mais d’un don. On relâche donc Valjean. L'évêque lui donne également deux chandeliers en argent.
La bonté de l’évêque va transformer Jean Valjean qui va lui-même devenir un homme charitable. Sous une nouvelle identité, il devient le maire de Montreuil-sur-Mer à qui il apporte la prospérité. Il sauvera aussi Cosette des griffes des Thénardier et l’adoptera, après avoir échoué à sauver Fantine, sa véritable mère, de la mort.
Mais il lui reste un dernier vol à expier, pour lequel le policier Javert va le poursuivre sans jamais renoncer. Pendant dix-huit ans, justicier impitoyable, il cherchera à le retrouver pour le renvoyer au bagne…
Lisbonne, 1er novembre 1755 : un tsunami détruit la quasi-totalité de Lisbonne et l’Europe s’interroge : comment Dieu a-t-il permis une telle catastrophe ?
Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les sages du pays n’avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé ; il était décidé par l’université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler.
On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d’avoir épousé sa commère, et deux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le lard : on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l’un pour avoir parlé, et l’autre pour l’avoir écouté avec un air d’approbation : tous deux furent menés séparément dans des appartements d’une extrême fraîcheur, dans lesquels on n’était jamais incommodé du soleil : huit jours après ils furent tous deux revêtus d’un san-benito, et on orna leurs têtes de mitres de papier : la mitre et le san-benito de Candide étaient peints de flammes renversées, et de diables qui n’avaient ni queues ni griffes ; mais les diables de Pangloss portaient griffes et queues, et les flammes étaient droites. Ils marchèrent en procession ainsi vêtus, et entendirent un sermon très-pathétique, suivi d’une belle musique en faux-bourdon. Candide fut fessé en cadence, pendant qu’on chantait ; le Biscayen et les deux hommes qui n’avaient point voulu manger de lard furent brûlés, et Pangloss fut pendu, quoique ce ne soit pas la coutume Le même jour la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable.