UN FINAL APOCALYPTIQUE DIGNE DES PLUS GRANDES COMEDIES ITALIENNES
L'EPOPEA DELL''ERASMUS, UN CORSARO DI CARAVAGGIO !
Chronique de KRISTIAN FRÉDRIC
26 septembre 2024
PARTIE 6
Après avoir vaillamment échappé aux attaques furibondes de Roudoudou, le perroquet démoniaque aux airs de maître du chaos, nous nous retrouvons enfin en paix, à nous immerger dans la Neuvième Symphonie de Beethoven au Teatro Fraschini. L’excitation est palpable, comme si les vibrations mêmes de la ville de Pavia nous guidaient vers cet instant musical tant attendu. Il faut dire qu'après avoir été assaillis par un perroquet furibond, une symphonie céleste est la meilleure échappatoire.
Assis dans le velours pourpre des fauteuils, je laisse mon esprit dériver dans le temps, imaginant Beethoven, le génie tourmenté, face à sa partition, la plume tremblante entre ses doigts. La Neuvième Symphonie, écrite alors que sa surdité était complète, résonne comme un miracle musical. On raconte que Beethoven lui-même, à la première, ne put entendre les applaudissements de l’orchestre, et qu’il dut être tourné vers le public pour réaliser que son œuvre avait bouleversé les âmes.
Chaque note de cette symphonie, du fracas initial aux envolées célestes de l’Ode à la Joie, est une bataille contre le silence. Le compositeur semble transcender le temps et l’espace. Et pourtant, au milieu de cette pureté orchestrale, mon esprit vagabonde...
Massenet rôde dans mes pensées comme un fantôme délicat. Comment ne pas être déchiré entre ces deux maîtres ? D'un côté, Beethoven, cet architecte titanesque de la symphonie, et de l'autre, Massenet, poète raffiné des opéras, dont la musique se déploie comme une soie chatoyante. Je me rappelle notre discussion avec Jacopo Brusa et Francesco Nardelli. Nous avions longuement parlé du final de Don Quichotte, cette cinquième et dernière scène, limpide comme une goutte d’eau pure, une perfection que nous voyons comme un diamant musical. Contrairement à ses détracteurs, qui jugent ses fins trop courtes, nous avions tous convenus que Massenet savait conclure avec une finesse inégalée.
Je suis donc là, écartelé entre ces deux géants, les comparant malgré moi. Beethoven a l’éclat du marbre, la force brute du destin, tandis que Massenet a la douceur du crépuscule, la mélodie comme une caresse sur le cœur. Mais soyons honnêtes, Massenet a ce petit quelque chose... une élégance à laquelle je ne peux résister. Peut-être est-ce là mon inclination naturelle pour le drame français.
Mais voilà qu’au moment où l’Ode à la Joie atteint son apogée, alors que je me laisse emporter par ce tourbillon musical, un fracas inattendu vient troubler l’harmonie parfaite. Les portes du théâtre s’ouvrent brusquement et une silhouette plumée, d’un vert flamboyant, surgit en volant au-dessus des têtes, poussant des cris stridents qui font écho dans l’immense salle. Roudoudou, ce démon ailé, avait trouvé une nouvelle scène où déchaîner sa fureur.
Ah, Roudoudou… Il virevolte comme un démon furibond au-dessus de la scène, ses plumes ébouriffées, ses yeux luisants de rage, prêt à déchaîner son courroux sur le monde de la musique classique. Un instant de silence s’étire dans le Teatro Fraschini, l'air chargé d'une tension digne des plus grandes tragédies, et puis, soudain, son cri fend l’air :
« Banda di incapaci! Fannulloni di compositori dal cervello di passero! Beethoven, razza di sordo mal rifinito ! Hai creduto che la tua Nona fosse l’apice dell’umanità ? Ma è a malapena degna di un pappagallo raffreddato ! » (Bandes d’incapables ! Vauriens de compositeurs à la cervelle de moineau ! Beethoven, espèce de sourdingue mal dégrossi ! T’as cru que ta Neuvième, c’était l’apogée de l’humanité ? Mais c’est à peine digne d’un perroquet enrhumé !)
Les spectateurs, médusés, n’en croient pas leurs oreilles. Mais Roudoudou, loin de s’arrêter là, continue sa diatribe démentielle, tel un capitaine Haddock en pleine transe musicale.
« Tonnerre de polyphonies ratées ! Massenet, toi et ton opéra de pacotille, avec tes quichotteries dignes d’une basse-cour ! Et ton Don Quichotte qui chante comme une dinde avant Noël ! C’est pas un final, c’est une mise à mort à coups de violon ! »
Il s'envole avec panache au-dessus du public, son bec pointé comme une arme prête à décocher la prochaine salve :
« Tuono di polifonie sbagliate ! Massenet, tu e la tua opera da strapazzo, con le tue quichotterie degne di un pollaio ! E il tuo Don Chisciotte che canta come un tacchino prima di Natale! Questo non è un finale, è una condanna a morte a colpi di violino ! » (Brigands de partoches mal ficelées ! Si vous aviez une seule note de génie dans ce tas de partitions moisis, je serais déjà au calme, en train de savourer un bon concerto de percussions avec des noix de coco ! Mais non, il faut que vous vous acharniez à nous pondre des symphonies à rallonge, des opéras sans fin !)
L’oiseau fou s'élève encore dans les hauteurs du théâtre, frôlant les dorures du plafond, avant de fondre une dernière fois vers l’orchestre, ses ailes battant l’air comme s’il dirigeait lui-même une symphonie du chaos :
« Musicisti da carnevale! Compositori da strapazzo ! Se avessi i pollici, vi farei vedere io come si conclude un'opera ! Con un colpo secco, come un vero maestro ! » (Musiciens de carnaval ! Compositeurs de pacotille ! Si j'avais des pouces, je vous montrerais comment on termine un opéra ! D'un coup sec, comme un vrai maestro ! Mais là, tout ce que vous méritez, c’est une volée de plumes en plein visage !)
Et d’un coup magistral, Roudoudou fait tourbillonner quelques partitions abandonnées dans les airs, avant de laisser un ultime cri de défi résonner dans la salle :
« Padiglioni di imbecilli sonori ! La musica è mia, e la riscriverò a colpi di becco se necessario ! » (Pavillons d'imbéciles sonores ! La musique est à moi, et je la réécrirai à grands coups de bec si nécessaire !)
Le public, d’abord stupéfait, commence à paniquer. Les spectateurs, dans un élan désespéré, fuient leurs sièges, renversant programmes et jumelles au passage. Le directeur Nardelli tente vainement de calmer la foule, tandis que Jacopo Brusa, stoïque, observe la scène comme s’il dirigeait une symphonie.
Je n’avais jamais vu un opéra se transformer en film de catastrophe à ce point. Roudoudou virevolte entre les colonnes dorées du Fraschini, faisant tomber des lustres imaginaires, tandis que le chaos s’étend. Je me tourne vers mes collaborateurs, dans un souffle presque lyrique et leur dit : "C’est peut-être ça, le vrai final que Beethoven n’a jamais osé écrire." Nous échangeons un sourire complice. L’apocalypse ornithologique continue. Ce soir, c’est Roudoudou qui écrit la partition, une partition pleine de plumes, de cris et de dérision.
Finalement, après ce délire aviaire, je me dis qu’il y a quelque chose de sublime à avoir vécu tout cela. Entre Beethoven et Massenet, entre la grandeur symphonique et le drame français, il y avait finalement un troisième protagoniste : Roudoudou. Un final apocalyptique digne des plus grandes comédies italiennes. Beethoven peut bien se retourner dans sa tombe, mais moi, je sais que ce soir, j’ai assisté à un véritable opéra. Pas celui que j’avais prévu, mais un opéra tout de même.
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