DU FENTANYL A NAN GOLDIN, VENISE EN PLEINE TEMPETE
L'EPOPEA DELL''ERASMUS, UN CORSARO DI CARAVAGGIO !
Chronique de Kristian FRÉDRIC
3 septembre 2024
Photos Mostra di Venezia et piaggia Alberoni
Aujourd’hui, c'est avec le cœur léger et les pieds encore un peu tremblants de notre traversée de la veille que je me réveille. Le soleil brille, les cigales chantent, et la température est déjà bien au-dessus de ce que même un lézard trouverait raisonnable. Oui, l'Italie, ce pays de la dolce vita, se transforme en un four à chaleur tournante. Mais ne nous laissons pas abattre par ces caprices météorologiques, car aujourd'hui, l'aventure nous mène non seulement à la Mostra de Venise, mais aussi à la plage. Oui, vous avez bien entendu, on va joindre l'utile à l'agréable. Mais commençons par le commencement.
Après cette traversée d’hier, digne d’un roman de Stevenson, sous une chaleur écrasante qui m’a transformé en version humaine d’un homard bien cuit, je suis finalement rentré, lessivé, dans ma modeste cabine pour retrouver mon fidèle compagnon de voyage. Vous vous en souvenez ? Qu’est-ce que j’y découvre ? Mon Roudoudou, mon adorable perroquet, qui s’est transformé en fanatique de Lelouch. Oui, vous avez bien entendu, un vrai Lelouchien pur et dur ! Depuis, à chaque instant, il me gratifie de son "chabadabada… chabadabada… lalalala…" avec toute la conviction d’un acteur des années 60. Et tout ça en attendant sa ration de cacahuètes, comme si j’étais censé applaudir à ce spectacle infernal.
Franchement, vous savez ce que ça me donne envie de faire ? De le transformer illico en poulet rôti ! Oui, oui, un tour dans le four et hop, fini les "chabadabada", place à un bon dîner. Ou bien de m’enfuir en courant, selon l’humeur. Mais avec cette chaleur, même courir devient une épreuve olympique, alors vous voyez, le poulet rôti commence à devenir une option séduisante. J’en connais un qui devrait sérieusement s'inquiéter.
En ce moment, l'Italie ne connaît plus de saisons, juste une version interminable de l’été avec des pointes de chaleur dignes d'un épisode de Mad Max. Les thermomètres explosent, et ce n’est pas une exagération. C'est la faute au réchauffement climatique, évidemment. Et à ce sujet, je ne saurais trop maudire ceux qui persistent à nier son existence. Franchement, il faut être aussi aveugle qu'un poisson des abysses pour ne pas voir que notre planète est en surchauffe. On devrait tous se transformer en pangolins pour trouver une solution. Ah, les négationnistes du climat, qu'ils soient frappés d'une éternelle panne de climatisation !
Alors, que fait-on quand la température atteint des sommets et que même l'ombre devient insupportable ? Eh bien, on fait comme les Italiens sensés : on file à la plage ! Mais pas n’importe laquelle, non, nous optons pour la mythique plage d'Alberoni, au Lido. Ah, Alberoni, ce bout de paradis où le sable doré s'étire sous un ciel impitoyable, et où les vagues viennent lécher vos orteils avec la nonchalance d’un félin bien repu.
Cette plage n'est pas qu'un simple lieu de baignade, c'est un site historique, indissociable du cinéma. C’est ici que Visconti tourna des scènes de Mort à Venise, ce chef-d'œuvre où la beauté et la décadence se mêlent dans une symphonie de lumière et de désespoir. Alberoni, c'est un peu comme le dernier refuge avant la folie, un endroit où l’on se souvient que la vie peut être douce, même si le monde brûle autour.
Après cet interlude balnéaire bien mérité, où nous avons laissé le sable d'Alberoni caresser nos pieds et les vagues nous murmurer des promesses de fraîcheur, il est temps de retourner à la Mostra de Venise. Le soir tombe doucement sur la lagune, et une légère bruine commence à rafraîchir l'atmosphère, offrant un répit bienvenu après la fournaise de la journée. On aurait presque envie de croire que la tempête se prépare, que l’air va enfin se purifier et que le monde, peut-être, va retrouver un semblant de calme.
À peine assis dans la salle, l’illusion de la douceur s’évapore. Le programme du soir nous promet un choc, un retour brutal à la réalité. Le film King Ivory de John Swab nous attend, et il n’y a aucune échappatoire. Ce réalisateur américain, connu pour son style sans concession, nous plonge dans l’enfer du fentanyl, cette nouvelle drogue qui ravage les États-Unis depuis la pandémie. Le fentanyl, pour ceux qui ne seraient pas encore au courant, est un opiacé synthétique bien plus puissant que l’héroïne, responsable de milliers de morts chaque année, un véritable fléau.
Il nous montre les vies détruites par cette substance : des familles dévastées, des jeunes perdus, des communautés entières en ruines. C’est un tableau impitoyable de la crise qui sévit actuellement, un miroir tendu à notre monde où la recherche de l’évasion se paie au prix fort. Pas de glamour ici, pas de "chabadabada", juste la dure réalité d’un cauchemar bien réel. La salle est silencieuse, chacun retient son souffle. Cette fois, il n'y a ni rires, ni larmes faciles. Juste un froid glacial qui s'installe, malgré la chaleur ambiante, comme un rappel cruel que certaines vérités sont trop dures à regarder en face.
Ce film avec sa brutalité crue et sans concession, me fait immédiatement penser au monde sombre et poignant de Nan Goldin. Oui, vous avez bien entendu, Nan Goldin, cette photographe qui a su capturer l’âme tourmentée des marginaux, des laissés-pour-compte, et des âmes perdues. On retrouve dans ce film la même atmosphère que dans ses clichés emblématiques : des vies brisées, des regards vides, et cette lueur d'espoir si ténue qu’elle semble toujours sur le point de s’éteindre.
Nan Goldin, c’est un peu la photographe des cauchemars réels. Ses photos, souvent prises sur le vif, montrent des moments intimes, des scènes de vie marquées par la douleur, la solitude, et parfois, une étrange forme de beauté dans la décadence. Ses œuvres nous plongent dans un univers où l’évasion n’existe que dans les excès, un peu comme ce film qui nous dépeint les ravages du fentanyl. Pas de glamour, pas de filtre Instagram ici. Juste la réalité brute, aussi impitoyable qu'une gueule de bois après une nuit blanche.
Et puis, il y a aussi la propre histoire de Nan Goldin, celle de sa lutte personnelle contre l’addiction. Ironie du sort, elle est tombée dans le piège tendu par un autre opiacé, l’OxyContin, ce fameux antidouleur qui a ravagé l’Amérique bien avant que le fentanyl ne prenne le relais. Nan, avec sa vie marquée par la dépendance, ressemble à l’un de ses sujets, perdue dans un monde où la recherche du soulagement se paie souvent au prix fort.
On pourrait presque imaginer une photo de Nan, où elle-même serait à moitié effondrée sur un canapé en train de visionner le film, une boîte de pilules à la main, dans un appartement aux murs jaunis par le temps.
En sortant de la projection, les gouttes de pluie qui tombent désormais semblent presque dérisoires. Elles ne suffiront pas à effacer les images violentes et déchirantes que nous venons de voir. Mais elles apportent un soupçon de fraîcheur dans cette nuit vénitienne, comme un espoir fragile que, peut-être, le monde retrouvera un jour un semblant d'équilibre.
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