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ÉPISODE 5 – LE LUNDI 6 OCTOBRE : PREMIÈRES RÉPÉTITIONS, MASSENET S’ÉVEILLE, LE METTEUR EN SCÈNE RESPIRE… ET ROUDOUDOU DEVIENT MÉLOMANE

L'EPOPEA DELL''ERASMUS, UN CORSARO DI CARAVAGGIO II

Chronique de KRISTIAN FRÉDRIC

Octobre 2025



© Soolee


Le lundi 6 octobre, je pénétrai dans le théâtre avant neuf heures. L’air était déjà vibrant. Les couloirs bruissaient d’activités. Les portes s’ouvraient, des partitions passaient, des voix s’échauffaient dans un chapelet de mi-mi-mi-mi et de roulades aériennes.


J’aime ce moment le matin, dans un théâtre : tout est encore fragile. L’opéra dort à moitié. On l’entend respirer avant de se réveiller.


J’arrivai dans la salle de répétition. Les solistes étaient déjà là, posant leurs partitions, saluant l’équipe. Le chef d’orchestre, Jacopo Brusa, réglait avec précision ses lunettes, comme s’il ajustait le monde.


Et le metteur en scène italien — élégant, précis, d’un calme presque chirurgical — échangeait avec lui les premières impressions sur l’Acte 1.


La lumière était douce. La tension, légère. Un premier jour comme on les aime : promesse pure.

Mais quelque chose me dérangeait. Une voix. Une présence.


Je levai les yeux.


Roudoudou était dans un lustre. Un lustre baroque, doré, sublime — profané par un perroquet ravi de sa trouvaille.


Il chuchota en observant le chef d’orchestre : — “ Regarde-le, capitaine. Ce Jacopo-là… il a le geste noble. On sent le pirate du tempo. J’aime bien ce gars. Il pourrait mener une flotte entière juste avec un coup de baguette. ”


En effet, Jacopo Brusa donnait les premières indications musicales pour l’ouverture. Un petit geste. Une respiration. Une mesure.


Et déjà…Massenet s’ouvrait comme une fleur.

Le metteur en scène, très concentré, construisait peu à peu son discours. Il expliquait la dramaturgie. Les intentions. Les mouvements. Les enjeux émotionnels de chaque protagoniste.


Roudoudou, quant à lui, s’était mis à battre des ailes…au RYTHME de la musique.


Je le vis, stupéfait, vivre l’ouverture de Don Quichotte comme un petit chorégraphe fou. À chaque crescendo, il gonflait le torse. À chaque diminuendo, il se faisait minuscule. À chaque point d’orgue… il retenait son souffle.


Puis, à voix basse : — “ Capitaine… MAIS C’EST MAGNIFIQUE ! On dirait une tempête qui hésite entre la poésie et le carnage ! ”


Les artistes commencèrent à chanter les premières phrases de l’Acte 1. Les voix se déployaient. Les gestes s’essayaient. Le décor était encore imaginaire, mais il prenait forme dans l’air.


Le chef d’orchestre ajustait la pulsation. Le metteur en scène réglait l’espace. Et l’opéra, lentement…naissait.


Soudain, Roudoudou glissa du lustre au balcon. Puis du balcon au rideau. Puis du rideau à un projecteur. Je priais intérieurement pour qu’il ne s’approche pas de la console lumière.


Il se plaça juste au-dessus du duo principal. Il ferma les yeux. Et il se laissa porter par la musique.


Il murmurait : — “ Je comprends maintenant pourquoi tu reviens ici… On sent que quelque chose se passe. Que les humains, quand ils chantent ensemble, deviennent plus grands. C’est beau, capitaine. C’est beau comme un lever de soleil plein de rhum. ”


Puis, soudain :— “ MAIS QUI A MANGE MON BRETZEL ?! ”


Un hurlement. Lustre qui vibre. Soprano qui sursaute. Chef d’orchestre qui perd une mesure. Metteur en scène qui lève les yeux, incrédule.


Je me levai immédiatement, paniqué.

— “ Roudoudou, tais-toi ! ”


Le chef se tourna vers moi.

— “ Pardon maestro… vous avez dit quelque chose ? ”

— “ Non. Absolument rien. C’était… un bruit technique. ”

— “ Ah. Un bruit technique. ”


Il reprit la baguette.

L’opéra repartit. Magnifique. Puissant. Sincère.


Roudoudou, comme apaisé, s’enfonça dans les drapés du rideau. Il murmura, presque ému :

— “ Capitaine… cette musique… elle me rappelle les voyages en mer. Le vent dans les voiles. Les rêves des fous.

Don Quichotte… c’est un pirate comme nous. Sauf, qu’il combat des moulins au lieu des bureaucrates.

J’aime cet homme. ”


Je me surpris à sourire. Roudoudou, cet animal chaotique, ce petit démon, venait de comprendre la poésie de Massenet. De ressentir l’âme de l’opéra.


Ce premier jour avait été une fête. Un chaos. Une révélation. Une promesse.


Et je savais alors que les cinq semaines qui s’annonçaient allaient être…inoubliables.


 

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