top of page

ÉPISODE 6 – LA GRANDE RENCONTRE ITALIENNE … OU LE CAUCHEMAR DES CINTRES EN FEU

L'EPOPEA DELL''ERASMUS, UN CORSARO DI CARAVAGGIO II

Chronique de KRISTIAN FRÉDRIC

Octobre 2025





Lorsque je me suis réveillé ce matin-là, le soleil de Pavie filtrait à travers les persiennes de ma petite chambre, dessinant sur le sol des rayures dorées comme les cordes d’une mandoline immobile. Une brise légère, parfumée à la fois de café serré et de quelque chose qui ressemblait à de la vieille pierre chauffée au soleil, entrait dans la pièce. Le jour de la grande rencontre était arrivé. La rencontre avec toute l’équipe du Teatro Fraschini, ce temple à l’italienne où, me disais-je avec une gravité héroïque, j’allais plonger au cœur battant de l’opéra, tel un explorateur cartographiant la Méditerranée intérieure du théâtre.


J’avais mis une chemise pour l’occasion. Une vraie. Avec un col. Repasée. Presque. Et je m’étais entraîné devant le miroir à dire : « Buongiorno a tutti » en faisant un léger mouvement de tête, pas trop servile mais plein de respect. J’aspirais à l’élégance, à la sobriété… au sérieux. Un sérieux qui serait aussitôt balayé, je le savais, par un certain volatile dont l’absence momentanée n’était qu’un répit.


Mais ce matin-là, Roudoudou n’était pas visible. Et j’en éprouvai un soulagement tel que je me surpris à siffloter — un motif de Massenet — dans les couloirs. C’était suspect, certes. Mais plaisant. En entrant dans le théâtre, je fus immédiatement saisi par cette odeur caractéristique : un mélange de bois ancien, de velours un peu poussiéreux, d’histoire enroulée dans les cintres, de générations de chanteurs ayant donné de la voix au point d’imprégner les murs d’un résidu de passion lyrique. C’était une odeur vivante. Une odeur qui semblait murmurer :


« Benvenuto… ici, on fait les choses avec le cœur. »


Et quel cœur ! Le Teatro Fraschini, dans sa splendeur à l’italienne, s’offrait à moi comme un grand gâteau baroque, avec ses ors délicats, ses balcons incrustés de détails qui semblaient avoir été sculptés par des mains amoureuses et précises. Lorsque j’avançai sur la scène vide, j’eus la sensation étrange d’être à la fois minuscule et immense, comme si le théâtre me jugeait du haut de ses loges. Francesco, le directeur du théâtre – un homme à la fois chaleureux et étonnamment mobile du sourcil –, m’attendait.


Maestro ! Bentornato !


Je souris. Je fis une inclinaison digne. Je tentai un « Buongiorno » posé. Et c’est à ce moment précis qu’une sorte de long couinement métallique résonna dans la salle.


Francesco : — Che è stato?

Moi : — Euh… peut-être une porte ? Une planche ?


Mais non. Mais bien sûr que non. Car derrière moi, à une hauteur impossible, perché sur un balcon comme un duc vénitien bourré au limoncello, je distinguai une forme. Une silhouette. Un plumage. Une arrogance.


Roudoudou.


Il portait une sorte de petit foulard à pois autour du cou, ce qui m’indiquait qu’il avait passé un peu trop de temps dans ma valise. Ses yeux pétillaient d’une énergie dangereuse.


Ti avevo detto que sarei tornato, capitaine…, siffla-t-il dans un italien approximatif mais terriblement menaçant.


Je tentai de garder contenance. Je tentai de me persuader que personne n’avait entendu. Mais Francesco, lui, leva les yeux vers le balcon et dit :


È… un uccello ?


Je répondis, avec une fermeté vacillante : — Un… souvenir personnel.


Francesco sourit poliment, comme seuls les directeurs d’opéra savent sourire quand ils savent parfaitement que la situation n’a aucune explication logique mais qu’ils décident d’en ignorer chaque seconde pour préserver leur santé mentale.


Il me guida ensuite à la grande salle de réunion où m’attendait l’équipe entière : Sara - la directrice de production, Mitia - le chef machiniste, Christina - la cintrière, Marco - le directeur technique bourru et même Margherita - la cheffe du service costume, qui arborait des lunettes à paillettes comme un accessoire indispensable de survie.


Je m’assis. On me présenta, poliment. Tout pouvait se dérouler parfaitement. Mais derrière moi, une ombre passa. Une ombre agile, silencieuse, emplumée. L’ombre de l’incident qui vient.


Roudoudou, car évidemment c’était lui, bondit soudain sur la table de réunion dans un fracas guerrier de pattes griffues. La réunion devint une scène de cinéma muet : les Italiens se levèrent comme un seul homme, les chaises basculèrent, les feuilles de notes s’envolèrent, je me levai, tentant un « Calma ! Calma ! C’est un… collaborateur artistique ! » et Roudoudou, imperturbable, marcha sur la table comme un duc en inspection.


Puis, soudain, il se tourna vers moi, hurla un « AL MASSIMO ! » dont j'ignore encore le sens exact, puis s’enfuit à travers la salle. Ce fut le début de la catastrophe. Il disparut dans un couloir. Puis un second. Puis un escalier en colimaçon. Puis un autre. Quand enfin je le retrouvai, il était — bien sûr — dans les cintres, juché devant un immense panneau de commandes, chaque levier ayant la forme d’un mystère prêt à tomber dans le chaos.


Et il toucha tout. TOUT. D’un geste. D’un rire strident. Comme un chef d’orchestre psychédélique dirigeant une symphonie écrite par un poulpe paranoïaque.


Les perches descendirent. Les rideaux s’ouvrirent puis se fermèrent en rafales, comme pris de hoquets existentiel. Un immense décor en contreplaqué de La Bohème glissa du haut pour venir se positionner devant un décor de Rigoletto, créant un mélange stylistique qui aurait scandalisé Verdi lui-même.


Le système de lumières clignota hystériquement : rouge, bleu, vert, violet, et parfois une couleur inconnue ressemblant au bruit que fait un synthétiseur cassé.


Francesco, arrivant en courant, cria : — Ma che succede ?!


Et moi, dans un souffle : — Una tempesta…


Ce fut un carnage. Un carnage magnifique. Un carnage lyrique.


Puis un dernier levier céda. Une énorme toile peinte du XIXᵉ siècle, représentant un firmament idyllique, se décrocha lentement… lentement… avant de tomber sur moi dans un bruit doux et poussiéreux.

Le monde devint bleu. Puis noir. Et soudain…


Je me réveillai. Dans mon lit. A Pavia. En sueur. Les draps en bataille. Le cœur battant.


Je regardai autour de moi : pas de toile, pas de décor tombé, pas d’italiens affolés, pas de Francesco catastrophé.

Et surtout… pas de Roudoudou.


Je me laissai retomber sur l’oreiller.


Ce n’était… qu’un cauchemar.

Un cauchemar terriblement réaliste. Un cauchemar prophétique peut-être. Un cauchemar qui me rappelait une vérité absolue : avec un perroquet pareil, la réalité dépasse souvent la fiction.


Et la journée de répétition du lendemain m’attendait déjà, tapie dans l’ombre de l’histoire, prête à m’offrir d’autres révélations.


 

Commentaires


Posts à l'affiche
Posts Récents
Archives
Rechercher par Tags
Retrouvez-nous
  • Facebook Basic Square
  • Instagram
Logo lezards RD.png

© 2017 par SD 
Créé avec Wix.com

6 ter avenue jouandin

BP 710

64100 Bayonne

05 59 50 36 60

  • Youtube
  • Icône social Instagram
  • Facebook Social Icon

Soutenue au fonctionnement par la Ville de Bayonne . le Département 64 . la Région Nouvelle Aquitaine . Habitat Sud Atlantic . Donateurs privés

bottom of page