IL SORRISO DI ROBERTA
L'EPOPEA DELL''ERASMUS, UN CORSARO DI CARAVAGGIO !
Chronique de KRISTIAN FRÉDRIC
11 septembre 2024
Voilà, c’est fait. Trois jours que je suis redevenu écolier. Oui, tu as bien entendu : écolier. À Venise, rien que ça. Ce n’est pas la petite école de province, non. Ici, c’est la classe internationale, ambiance Rialto et cartable au dos. Mais bien sûr, il fallait que cette épopée commence comme un film de Fellini : un mélange de grandiose et d’absurde.
Je suis dans ma petite chambre vénitienne, face à ce miroir un peu trop honnête, ajustant mes socquettes blanches qui refusent catégoriquement de me rajeunir d’un seul jour. Derrière moi, Roudoudou, perché fièrement sur l’armoire, observe mon accoutrement avec un œil moqueur.
— "Ah mon vieux, tu me la joues sérieux, là ? Des socquettes ? Tu crois que ça va passer comme ça, incognito, hein ? Prépare des antisèches plutôt, t’en auras besoin. À ta place, j’aurais un plan B. T’es pas chez les Bisounours, gamin, ce n’est pas l’école des fans ici !"
Le ton est donné. Roudoudou, c’est Blier dans Les Tontons Flingueurs, version plumée. Et moi, je suis Lino Ventura, en version pas du tout intimidante, qui se fait houspiller façon puzzle.
— "Tu sais quoi, Roudoudou ? Si je me plante, je t’inscris aux leçons de chant. Ça te calmera."— "Leçon de chant ? Oh non, vieux, c’est toi qui vas chanter faux ce matin, je te promets. Prépare les antisèches, fais pas le malin."
Je laisse ce volubile critique reprendre son souffle pendant que je m’attaque à la grande épreuve de la matinée : le remplissage du cartable. Ce n’est plus aussi simple qu’à l’époque où on fourrait un vieux manuel de grammaire et quelques crayons Bic. Maintenant, c’est tout un cérémonial. Les manuels italiens, flambant neufs, débordent de pages brillantes. Ils sentent encore l’encre fraîche, un peu comme un contrat d’embauche dans un film de mafieux, mais sans les menaces.
Des noms aussi mystérieux que poétiques : "Grammatica Italiana Moderna", "L’Italiano per Stranieri", et mon préféré : "Il Grande Dizionario", cette brique qui me promet de comprendre tous les films italiens sans sous-titres.
— "Avec ça, t’es foutu."Roudoudou, encore lui, sent venir la catastrophe.— "Ah ouais, et quoi encore ? Prépare une antisèche sur Leopardi. L’italien, c’est pas que des gondoles et des pizzas, vieux ! Si tu rates, je te fais réciter du Pasolini par cœur."Je plie sous la pression.
Je quitte mon appartement avec un cartable qui me tire déjà les épaules et l’âme. La traversée de Venise au petit matin, c’est une scène de cinéma à elle seule. Le soleil qui se lève sur les canaux, la lumière dorée qui baigne les façades en pierre. Si on fermait les yeux, on pourrait presque entendre une mélodie de Nino Rota. Je passe par le quartier de l’Arsenal, où j’ai laissé mon bateau, garé avec l’élégance d’un gondolier en galère. Le vent léger fait frémir les eaux, et je me faufile dans les ruelles avec un cartable qui grince à chaque pas. Mes socquettes blanches contrastent violemment avec l’atmosphère mystérieuse et élégante des lieux. J’ai l’impression d’être un personnage de Woody Allen, coincé dans une ville trop belle pour lui.
En traversant le Pont de l’Academia, je m’arrête un instant. Je regarde les bateaux en contrebas, les gondoles qui dérivent doucement, comme si elles étaient synchronisées par un réalisateur invisible. Venise, c’est une scène d’amour en continu, un décor mouvant, où chaque coin de rue raconte une histoire. Mais moi, là, en ce moment précis, je suis juste un gamin avec un cartable trop lourd et des chaussures trop propres pour les pavés glissants.Je pourrais presque entendre la voix de Roudoudou résonner dans ma tête :
— "Tu crois que c’est romantique, hein ? Attends de voir le prof te coller devant tout le monde. On rigolera bien, tiens."
L’arrivée à l’institut se fait comme une scène d’entrée triomphale dans un vieux western. La porte s’ouvre sur un couloir silencieux. Des élèves murmurent, quelques regards se tournent vers moi. Le moment est suspendu, comme si Sergio Leone avait décidé de filmer mon arrivée en classe avec des gros plans dramatiques. Mon cartable pèse une tonne, et j’avance comme un cow-boy en duel avec l’orthographe italienne.
Et puis, je la vois. La professoressa Roberta. Une apparition. Elle n’entre pas, elle glisse dans la pièce avec une grâce désarmante. Elle pourrait être sortie d’un film de Visconti ou d’un tableau de Botticelli. Ses cheveux châtains tombent en cascade sur ses épaules, son regard perçant semble lire les âmes comme des pages de livre ouvert. Et ce sourire… oh, ce sourire. C’est le genre de sourire qui fait vaciller l’équilibre cosmique. Le genre de sourire qui te fait oublier tes socquettes ridicules et ton cartable encombrant.
Elle s’avance vers le bureau, chacun de ses gestes est mesuré, élégant, comme une ballerine sur une scène de La Fenice. Sa voix, quand elle parle, est un pur chef-d’œuvre. Un mélange de velours et de miel, avec juste assez d’autorité pour te rappeler que tu es là pour apprendre, et non pour flâner dans les décors.
— "Buongiorno a tutti. Siamo pronti per iniziare la nostra lezione."
Je suis prêt. Prêt à être hypnotisé par cette Roberta, sortie d’un film que je n’ai jamais vu, mais que je sais déjà inoubliable.
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