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LAGUNE ET LEVITATION

L'EPOPEA DELL''ERASMUS, UN CORSARO DI CARAVAGGIO !

Chronique de Kristian FRÉDRIC

4 septembre 2024






Photos Cinéma Galleggiante à la Giudecca


Martedi 3 settembre. Venise m'accueille de nouveau sous son ciel étoilé, et ce soir, mes amis, l’aventure prend un tour encore plus singulier. Direction le Cinéma Galleggiante à la Giudecca. Imaginez un cinéma en apesanteur, où les spectateurs, installés dans des gondoles, dérivent doucement vers une barge flottante. Un rêve poétique où même l’écran semble se balancer au rythme des vagues. Venise n’est décidément jamais en reste quand il s'agit d'en mettre plein les yeux, et ce soir promettait d’être aussi suspendu qu’un air de Vivaldi, flottant sur la lagune.

 

Évidemment, avant de m’embarquer dans cette odyssée cinématographique, j’ai dû régler l’épineuse question de Roudoudou, mon fidèle perroquet. Depuis que je l’ai traumatisé avec l’intégrale de Claude Lelouch, ce bougre s’est mis à me siffler Chabadabada à chaque instant. On pourrait croire que cet air léger a quelque chose de charmant, mais croyez-moi, après l’avoir entendu siffler à l’aube, midi et minuit, ça vous donne envie de chercher le bouton "off" sur le volatile.

 

J’ai donc pris les choses en main. Plus de Lelouch pour lui ce soir, j’ai opté pour du lourd. L’Exorciste de William Friedkin. Après tout, quoi de mieux qu’un classique de l’horreur pour lui faire passer l’envie de jouer au crooner des films de la Nouvelle Vague ? Et qui sait, peut-être que la jeune Regan et sa tête qui tourne à 360 degrés calmeraient enfin ses ardeurs sifflantes…

 

La nuit est tombée, la lagune brille d’un éclat argenté, et les gondoles glissent sans un bruit. Tout semble propice à une soirée de pur émerveillement. Ça me rappelle les Rencontres Improbables sur la Côte basque, ce festival de performances artistiques où rien n’était prévisible, où tout était improbable, sauf la pluie, bien entendu. Ici, à Venise, tout semble pareillement irréel, un peu comme si la lagune elle-même devenait le décor d’un songe éveillé.

 

Le début de la projection est prometteur : des textes apparaissent à l’écran, lentement recouverts d’une encre noire mystérieuse tandis que l’on entend une balade musicale qui s’élance dans la nuit. Puis, une voix résonne, grave et envoûtante, en italien, bien sûr – comme si Dante lui-même murmurait ses vers au-dessus de l’eau. C’est, une actrice, installée sur la barge flottante, qui nous lit des textes écrits par des femmes détenues de la prison de Giudecca. Sa voix, légèrement éraillée, se mêle au bruit des vagues et aux moteurs des vaporetti qui ronronnent au loin. Une atmosphère presque magique.

 

Presque, car petit à petit, je commence à sentir mon esprit divaguer. Une association d’idées me ramène à Au-delà du fleuve et sous les arbres d’Hemingway, où le vieux colonel amoureux de la jeune Renata navigue dans les méandres de ses sentiments comme je flotte sur la lagune. Ah, Renata, muse éternelle… Et moi, colonel des temps modernes, voguant entre les gondoles, perdu entre le rêve et la réalité.

 

Mais il faut bien redescendre sur terre, ou plutôt sur l’eau. Après cette envolée poétique, les courts-métrages qui suivent peinent à captiver mon attention. L’un après l’autre, ils se succèdent comme une série de vagues sans éclat. Alors, lorsque je vois une gondole discrètement amarrer pour évacuer des spectateurs lassés, je saisis ma chance et je m’éclipse dans un silence d’orfèvre. Giudecca, me revoilà, les pieds fermes sur le sol. Enfin, presque.

 

De retour sur mon bateau, je m’attends à trouver Roudoudou assommé par sa séance d’horreur. Mais là, surprise. J’ouvre la porte de la cabine, et je découvre mon perroquet dans un état que je qualifierais de... transcendantal. Il est littéralement en lévitation sur son perchoir, les plumes ébouriffées, ses yeux fixant un point invisible au-delà du réel. Et, comble de l’absurde, il me regarde, commence à tourner la tête lentement, très lentement… Oui, exactement comme dans la fameuse scène de L’Exorciste.

 

Mais ce n’est pas tout. Au lieu d'un cri démoniaque, il se met à siffler l'Ave Maria, version opéra grandiose, avec une maîtrise qui aurait fait rougir Pavarotti. Entre deux vocalises, il me lance des injures en latin – du moins je crois que c’est du latin, à moins qu’il ne s’agisse d’un dialecte oublié de volatiles possédés. Je reste là, bouche bée, face à cette scène digne des plus grandes heures du cinéma. William Friedkin aurait probablement applaudi. Moi, je ne sais plus si je dois appeler un prêtre ou m'inscrire à un stage de désensibilisation pour propriétaires de perroquets traumatisés.

 

Le lendemain, je prends une décision sage : plus de films d’horreur pour Roudoudou. Si je dois partir à nouveau le laissant seul à bord, on passera à quelque chose de plus léger. Peut-être Sister Act ? Au moins, s’il continue à persister dans sa vocation religieuse, autant qu’il le fasse sur une note plus joyeuse. Peut-être que la voix de Whoopi Goldberg le ramènera sur terre. Et ce sera en chantant I Will Follow Him...


 

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